Chirac et l'Histoire

Chirac, c’est de l’histoire (éditorial)

L’histoire immédiate a ses détracteurs. Il serait impossible selon eux de traiter des temps dont les acteurs et les témoins sont encore vivants. C’est vrai, le genre est difficile : le manque de recul peut provoquer des effets de loupe, la surestimation de l’accessoire dont les détails ont défrayé la chronique, au détriment du plus important. Aux yeux de beaucoup, le bilan d’un président de la République en place appartient aux politiques et aux journalistes : les historiens attendront leur heure, quand ils pourront traiter de Jacques Chirac comme du président Fallières.
C’est oublier que l’histoire immédiate a été de longue date légitimée par les plus grands noms de la discipline. Sans remonter à Thucydide, Pierre Renouvin, ancien combattant, grand spécialiste des relations internationales, faisait à vif l’histoire de la Première Guerre mondiale. Est-il besoin de rappeler Marc Bloch, écrivant au lendemain de la débâcle de 1940 L’Étrange Défaite ? L’inspection générale ne s’y trompe pas qui inscrit dans ses programmes du baccalauréat l’histoire du monde de 1945 « à nos jours ».
Chirac, donc. Comme hier Mitterrand, auquel nous avons consacré un premier dossier dix ans après sa victoire à la présidentielle de 1981 (n° 143), et alors qu’il était toujours à l’Élysée. Nous y sommes revenus deux lustres plus tard, car le travail de l’historien n’est jamais achevé : il n’existe pas d’histoire définitive, même si, l’ouverture des archives aidant, on peut prédire qu’on en saura plus demain qu’aujourd’hui.
Une autre objection faite à l’histoire immédiate est le doute sur l’impartialité de ceux qui la font. Sur le temps présent, l’historien subirait l’influence de ses choix existentiels ou politiques. Drôle d’argument : en quoi pourrait-il s’abstraire plus facilement de l’histoire de la Shoah, de la Révolution et même de la croisade ? L’histoire est un métier, une discipline qui a ses règles, applicables aussi au temps présent.
Ce dossier Chirac est donc un vrai dossier d’historiens. Il vise à replacer le long parcours d’un homme politique dans son temps ; à percer sa personnalité en analysant ses rapports au gaullisme, à la droite et à la gauche, à la Corrèze ou à l’Europe ; et à tirer un bilan (provisoire) de ses deux présidences. Nous ne sommes ni des partisans ni des justiciers.

Source : L’Histoire d'octobre 2006 Dossier Spécial "L'énigme Chirac"