Un peu de Rouen dans le Monde
Mercredi 18 avril, François Bayrou doit venir à Rouen. Dans la ville encore marquée par le règne de Jean Lecanuet, il va rappeler sa proximité avec le leader centriste dont il fut, lors de ses débuts en politique, le porte-plume. Pierre Albertini, actuel maire de la cité normande, et député UDF chargé du projet présidentiel du candidat, prépare l'événement.
"Les nouveaux adhérents que nous avons réunis récemment sont très enthousiastes, explique-t-il. Un quart d'entre eux viennent des rangs socialistes car ils jugent ce parti en retard sur l'Europe ou la social-démocratie." L'homme qui, au mois de mars 2001, a permis que Rouen "retourne à sa famille naturelle" en enlevant la mairie aux socialistes savoure toujours son exploit. "Le PS rouennais a l'impression que je lui ai volé une victoire et ne l'a toujours pas digéré", assure l'ancien professeur de droit constitutionnel.
Alors, évidemment, il est impossible pour lui de "travailler en bonne intelligence" avec des gens qui le combattent. Il rêve à Jean-Marie Bockel ou Bernard Kouchner, des sociaux-démocrates avec qui il aimerait bâtir des projets. Selon lui, François Bayrou a raison, le centre peut s'allier à Dominique Strauss-Kahn, "qui est plus éloigné de Jean-Luc Mélenchon que de nous".
"GESTION DE DROITE TRADITIONNELLE", SELON L'OPPOSITION
Candidate dans la première circonscription de Rouen, la socialiste Valérie Fourneyron ne croit pas en la volonté d'ouverture du maire. "Lorsqu'on choisit comme adjoint chargé de la sécurité Eric Cesari, UMP, directeur de cabinet du président du conseil général des Hauts-de-Seine, Nicolas Sarkozy, on affiche bien la couleur de la municipalité : UDF-UMP", explique-t-elle. Son adversaire UMP aux législatives, Bruno Devaux, est d'accord avec elle sur ce point et, si lui a démissionné de son poste d'adjoint en décembre 2006, c'est uniquement pour se consacrer à la campagne électorale. Il explique que la collaboration entre l'UMP et l'UDF a toujours bien fonctionné sur le plan municipal. "Les membres de l'UMP sont plus nombreux parmi les élus de la majorité" note-t-il mais ils ont toujours soutenu Pierre Albertini.
Certes, il estime que certains dossiers auraient pu avancer plus vite au cours du mandat mais juge le bilan "globalement positif". L'opposition locale ne partage pas ce point de vue et critique "une gestion de droite traditionnelle" privilégiant l'immobilier privé au détriment du logement social. "Dans les domaines des sports ou des loisirs, le maire ne joue pas la carte des équipements collectifs", assure Valérie Fourneyron. Le dernier contrat signé entre la ville et le groupe Vinci pour moderniser l'éclairage public et les feux tricolores moyennant un loyer de 5 millions d'euros par an pendant vingt ans l'inquiète. Elle craint les dérives financières de ce genre de délégation au privé de services communaux.
Pierre Albertini récuse ces accusations et affirme que la ville va pouvoir rénover plus vite son éclairage, mettre aux normes ses feux et créer un système de vidéo-surveillance des lieux sensibles. Pour lui, cette polémique, "c'est de l'histoire locale qui va s'estomper car elle n'est pas souhaitable pour la ville". A l'écouter, on a l'impression que le laboratoire du centrisme communal fonctionne bien à Rouen. Ses opposants critiquent les chantiers en cours ou programmés mais un jour viendra, selon lui, où ils en reconnaîtront le bien-fondé. Il s'inscrit dans l'héritage de Jean Lecanuet et s'efforce de rendre cette ville plus moderne et plus conviviale.
Mais le candidat-surprise de la campagne électorale de 1965 possédait d'autres atouts. Président du conseil général et soutenu par la région, il disposait de plus de moyens. Aujourd'hui, ces deux instances ont été conquises par le PS, et le clivage gauche-droite freine les coopérations entre collectivités. "Jusqu'ici, le centre a plutôt penché à droite, reconnaît le maire, ancien adhérent d'un groupe d'étudiants nationalistes. Mais avec la candidature de François Bayrou, les lignes changent." Pour lui, la stature d'homme d'Etat du candidat et son caractère raisonnable vont bousculer les schémas anciens. Il assure que l'UDF n'est plus un parti de notables et un supplétif du RPR.
Dans la première circonscription, qui correspond exactement aux limites de la ville, Bruno Devaux multiplie les invitations de ministres pour séduire les électeurs. Il sait que face à Valérie Fourneyron, élue socialiste de l'un des cantons, le combat s'annonce difficile. Mais il sait aussi que le maire pourrait très bien, au dernier moment, s'inviter dans la compétition à la place d'une de ses adjointes. Pierre Albertini aime les décisions surprises. Même s'il est partisan du non-cumul des mandats et estime que ses trois élections successives à l'Assemblée lui suffisent, ses adversaires remarquent qu'il a juste dit qu'il ne se représenterait pas " dans la deuxième circonscription". Bruno Devaux note simplement que le maire a " l'habitude de travailler seul". Valérie Fourneyron lui reproche de ne pas écouter les autres et de ne pas être un rassembleur. A Rouen, l'UDF a du mal à mettre en pratique le " travailler ensemble" cher au candidat Bayrou.
Serge Bolloch (Le Monde du 17 avril 2007)