Marcel Proust et Rouen
A force de lire les blogs littéraires, il vient naturellement des idées. C'est ainsi qu'il est intéressant de se plonger dans les grandes oeuvres pour voir si on en vient à parler de Rouen. Le premier article d'une longue série (espérons le) est consacré à notre petit Marcel Proust, bouffeur de madeleines devant l'éternel. En regardant de près son livre phare A la recherche du Temps perdu et particulièrement la dernière partie (Le Temps retrouvé), on découvre une évocation de Rouen, la seule qui soit dans ce volume.
Et quel extrait ! On y rencontre le Narrateur (un peu Marcel mais pas trop ) avec M. de Charlus, parisien cultivé aux goûts délicats et baron de son état . M. de Charlus, personnage inventé, mélange du comte Robert de Montesquiou et de la libido d'Oscar Wilde, est aussi une "tante", de l'aveu même de Marcel Proust qui n'était pas en reste et ce passage le montre clairement. "Ce terme ["tante"] conviendrait particulièrement, dans tout mon ouvrage [...] "Mais le lecteur français veut respecté" et n'étant pas Balzac je suis obligé de me contenter d'inverti. Homosexuel est trop germanique et pédant" (Proust, esquisse de Sodome et Gomorrhe).
On s'encanaille dur à Rouen ! Marcel Proust dépeint ici un Rouen très ga(i)y. A l'ombre des gargouilles en pleurs, on ne fait donc pas que dans la dentelle. Preuve par le texte....
On a retrouvé sur les murs d’une des maisons de Pompéi cette inscription révélatrice: « Sodoma, Gomora. » Je ne sais si ce fut ce nom de Sodome et les idées qu’il éveilla en lui, soit celle du bombardement, qui firent que M. de Charlus leva un instant les yeux au ciel, mais il les ramena bientôt sur la terre. « J’admire tous les héros de cette guerre, dit-il. Tenez, mon cher, les soldats anglais que j’ai un peu légèrement considérés au début de la guerre comme de simples joueurs de football assez présomptueux pour se mesurer avec des professionnels - et quels professionnels.! - hé bien, rien qu’esthétiquement ce sont des athlètes de la Grèce, vous entendez bien, de la Grèce, mon cher, ce sont les jeunes gens de Platon, ou plutôt des Spartiates.
J’ai un ami qui est allé à Rouen où ils ont leur camp, il a vu des merveilles, de pures merveilles dont on n’a pas idée. Ce n’est plus Rouen, c’est une autre ville. Évidemment il y a aussi l’ancien Rouen, avec les Saints émaciés de la cathédrale.
Bien entendu, c’est beau aussi, mais c’est autre chose. Et nos poilus.! je ne peux pas vous dire quelle saveur je trouve en nos poilus, aux petits Parigots, tenez, comme celui qui passe là, avec son air dessalé, sa mine éveillée et drôle.
Il m’arrive souvent de les arrêter, de faire un brin de causette avec eux, quelle finesse, quel bon sens.! et les gars de province, comme ils sont amusants et gentils avec leur roulement d’r et leur jargon patoiseur.!... Moi, j’ai toujours beaucoup vécu à la campagne, couché dans les fermes, je sais leur parler, mais notre admiration pour les Français ne doit pas nous faire déprécier nos ennemis, ce serait nous diminuer nous-mêmes. Et vous ne savez pas quel soldat est le soldat allemand, vous ne l’avez pas vu comme moi défiler au pas de parade, au pas de l’oie, « unter den Linden ».
En revenant à l’idéal de virilité qu’il m’avait esquissé à Balbec et qui avec le temps avait pris chez lui une forme philosophique, usant, d’ailleurs, de raisonnements absurdes, qui par moments, même quand il venait d’être supérieur, laissaient voir la trame trop mince du simple homme du monde, bien qu’homme du monde intelligent : « Voyez-vous, me dit-il, le superbe gaillard qu’est le soldat boche est un être fort, sain, ne pensant qu’à la grandeur de son pays, « Deutschland über alles », ce qui n’est pas si bête, et tandis qu’ils se préparaient virilement, nous nous sommes abîmés dans le dilettantisme. »
Le Temps retrouvé, première partie.
Si vous savez si Marcel Proust est venu à Rouen, faîtes moi signe !