Tintin, le grand nègre blanc
Dans un article du Monde, en date du 10 août 2007, on apprend qu'un étudiant congolais vient de déposer plainte à Bruxelles contre l'un des premiers albums d'Hergé Tintin au Congo qu'il juge raciste et demande à la Société Moulinsart qui gère les droits d'Hergé de retirer purement et simplement cet album de la vente.
Jozef De Witte, le directeur du Centre pour l'égalité des chances, un organe parapublic, a affirmé au quotidien De Morgen qu'il comprenait "la sensibilité" du plaignant mais qu'il fallait éviter "l'hyper politiquement correct". "Les gens ne sont pas idiots, il faut peut-être considérer ce livre comme le produit de son temps", souligne M. De Witte. "Rappelez-vous que lorsqu'il heurte la voiture de Tintin, c'est le train qui déraille, ajoute Marcel Wilmet. Cela prouve bien que l'on nage en pleine fiction, non ?" (Le Monde)
Oui, en effet, le politiquement correct a une nouvelle fois frappé fort. Cette attaque contre Hergé m'a particulièrement ulcéré et je suis allé immédiatement consulter cet album qui figure dans ma bibliothèque en bonne place, comme tous les autres albums d'Hergé pour qui l'enfant que j'ai été a eu la plus grande passion.
Pour ne rien vous cacher, Tintin au Congo n'est pas mon album préféré. Je ne dois pas être suffisamment accro pour aimer cette oeuvre de jeunesse d'Hergé, parue en 1930 dans Le Petit Vingtième, journal mythique pour tous les tintinophiles et redessiné dans sa version actuelle en 1946.
En effet, quand on parcourt ces pages, on peut être surpris. Un rapprochement saute aux yeux. Tout comme le fameux détective d'Agatha Christie, Hercule Poirot, tout le monde connaît Tintin et Milou. Quand Tintin et Milou arrivent en Afrique, un noir avec avec un bouclier et une lance explique à son fils : "Ti vois ce grand bateau, Boule de neige?...Eh bien, ça y en a Tintin et Milou sur ce bateau". Voilà comment parlent les noirs dans tout l'album....
Le fameux petit noir qui figure sur la couverture de l'album dans la voiture transsaharienne s'appelle...Coco et Tintin, en le montrant du doigt lui demande : "Alors, c'est entendu, Coco?...Tu m'accompagneras durant tout mon voyage.... Le pygmée répond "Bien, missié". Le noir est gentil et servile, voilà le cliché en effet.
Une certaine vision de l’Afrique…
Un peu plus loin, Tintin essaye de traverser une voie ferrée avec sa voiture , il est bloqué. Le noir s'échappe (sous-entendu le noir est vif et lâche), Tintin reste, lui, bloqué. Eh bien, chez Hergé, le train déraille....Le pire reste à venir, puisque Tintin demande aux noirs présents à côté du train qui est sur le côté "Au travail, vite !...Vous n'avez pas honte de laisser ce chien travailler tout seul?..." et Milou de surenchérir "Allons, tas de paresseux à l'ouvrage!". Tintin hausse le ton devant un noir qui ne veut pas se salir pour soulever la loco "Allez-vous vous mettre à l'ouvrage, oui ou non ?". Puis une fois le train remis sur ses rails, un noir avec un canotier dit "Li missié blanc très malin!". Alors que le pauvre Tintin dans son chapeau colonial a gueulé un peu pour les faire bosser mais n'a finalement rien fait...(sous entendu, le blanc réfléchit, le noir avec ses bras agit...).
Et des scènes comme celle-là, il y en a quelques unes. Elles sont très naïves, tout comme les scènes de chasse...
Dans un hors-série que Télérama consacrait à Tintin en 2003, un auteur de théâtre congolais Caya Makhélé avait été interrogé. Son point de vue compréhensif et émouvant donne de l’espoir et, bien heureusement, ne voue pas aux gémonies l’œuvre africaine d’Hergé. Il raconte que son père lui a offert ce cadeau pour ses 10 ans :
" J’ai vite appelé mon ami Gaby pour venir admirer la belle auto transaharienne (même si nous n’étions pas au Sahara) deTintin et le veinard de Coco, le petit black qui était assis aux côtés du jeune reporter, grâce à qui nous allions découvrir notre pays, le Congo ".
Caya Makhélé allait " dans les rues écouter les gens parler. J’étais devenu un chasseur du parler petit-nègre ". Parce que Tintin parlait lui le " grand-nègre ", le bon français de France ou de Belgique, comme l’affirmait son copain Gaby.
" Un jour, je demandais quand même à mon père : " Ce n’est pas vrai que c’est ça, le Congo ? ". Mon père me répondit que c’était un peu comme dans les contes de nos veillées ; il y avait des peurs qui n’étaient pas des peurs, des haines et des préjugés qui n’en étaient pas, des Congolais qui n’étaient pas des Congolais ". Je compris alors que ce Tintin au Congo n’avait été qu’un leurre, et qu’un jour le vrai Tintin viendrait voir le vrai Congo, y rencontrer les vrais Congolais. Un demi-siècle plus tard, Gaby et moi l’attendons toujours….Mais maintenant nous savons " qu’en Europe tous les petits Blancs y en a pas être comme Tintin ".
Belle leçon, non ?
Dans le monde d’Hergé, du spécialiste tintinophile Benoit Peeters, on lit que l’album est " un sujet de commande ". Il fallait glorifier l’empire colonial belge. Redisons qu’à la même époque , Paris organisait en 1931 l’exposition coloniale internationale de Paris où l’on pouvait voir dans des " zoos humains "des autochtones de nos belles contrées coloniales vivrent avec ce même côté bestial – enfin, on faisait en sorte de les mettre en scène comme cela – et ces attractions plaisaient énormément.
L’Europe était une belle enflure, donnant des leçons d’humanité et de morale à la terre entière…
Après une mise au pinacle de l’album pendant toute la période de la décolonisation, Benoit Peeters note un " détail amusant " : c’est une revue zairoise qui sera la première à redécouvrir l’album…
Hergé dira de cet album dans des entretiens à Numa Sadoul : " il se fait que j’étais nourri des préjugés du milieu bourgeois dans lequel je vivais…C’était en 1930. Je ne connaissais de ce pays que ce que les gens en racontaient à l’époque : Les nègres sont de grande enfants…Heureusement que nous sommes là ! Etc. Et je les ai dessinés, ces Africains, d’après ces critères là, dans le pur esprit paternaliste qui était celui de l’époque, en Belgique ".
Tintin au Congo n’en reste pas moins un extraordinaire livres d’images et des représentations occidentales fantasmés sur l’Afrique et aujourd’hui, au Congo, un " Tintin " est un terme générique pour désigner une bande-dessinée…. C’est beau l’intelligence, non ?
La dernière vignette est absente de la version de 1946, remplacée dans la version actuelle par une séance de mathématiques...