Triste nouvelle
J'apprends dans le Paris-Normandie que Philippe Goujard, professeur à l'Université de Rouen, est mort. Il est le premier de mes professeurs que je vois partir et j'en suis très touché.
Je garde des souvenirs très amusés de ses cours. J'étais en licence et il assurait les cours d'histoire moderne sur le XVIIIe siècle. J'ai gardé mes notes de ces années mais je n'ai pas besoin de les relire pour me rappeler qu'il y avait un tas de digressions étonnantes et réjouissantes pendant ses cours magistraux. Je n'ai jamais autant entendu parler de la Yougoslavie et de choses qui n'ont rien à voir avec l'intitulé du cours que pendant ses interventions, mais le tout était amené avec tant d'humour décalé que cela en devenait très intéressant. Je me souviens d'un certain Hussein qui voulait poser une question, un jour, lors d'un cours. Rire général dans l'assistance : tout le monde pensait à Saddam. Lui avait rapproché son nom d'avec un gardien de la Grande Porte, une histoire dans ce genre.... On n'avait rien compris mais on avait beaucoup ri.
Lors d'un partiel, chacun attendait un sujet sur le XVIIIe siècle, l'Europe....Ce fut finalement un sujet sur la jeunesse de Louis XIV. Contrairement à ce que vous pouvez peut être penser, je suis une nullité patentée de la dissertation et suis un aficionado du commentaire de texte. Alors grâce à M. Goujard, j'ai causé de l'enfance très XVIIe siècle du roi Louis le quatorzième. Parler des précepteurs de Louis XIV, la Fronde et sa jeune conception de l'Etat...voilà ce qu'avait proposé M. Goujard. Etonnant mais bon, malgré la surprise, j'avais obtenu un très mémorable 14.
Dans les couloirs, entre étudiants, chacun racontait sa petite anecdote sur M. Goujard et parlait beaucoup de ses faux airs de Georges Clemenceau. Tout le monde pensait qu'il abusait un peu de.... Enfin, il devait avoir ses raisons. Et après tout, peu importe.
Je me souviens aussi de camarades qui me racontaient qu'il avait avait sorti un jour un couteau et l'avait planté dans le bureau devant tout le monde, qu'une autre fois, il s'était aussi cassé la figure sur une chaise en plein amphi.... Vieilles rumeurs qui s'entretiennent et qu'on se plaît à répéter. Entre fantasmes et réalités, les étudiants racontent beaucoup de choses sur leurs professeurs. La vérité est souvent si loin. On comprend ses professeurs lorsque l'on passe de l'autre côté de la barrière.
Il était un de ces professeurs très attachants de l'Université qui laissent tout sauf indifférent.
Les témoignages se succédent dans le Paris-Normandie. Je retiens celui, très humain, du directeur du département d'histoire, M. Vimont, que j'ai eu le plaisir d'avoir pour diriger mon Master.
Je suis un nostalgique maladif qui regrette tout et rien. J'ai de la peine aujourd'hui pour ces années et ces maîtres qui vont tant compter dans ma vie.
Image : Clemenceau par Edouard Manet.